Pour une fois, je participe à l’atelier d’écriture de Skriban. La rupture… voilà un thème qui m’a inspirée. Pour le meilleur? Peut-être pas…
Ma chère France,
je te quitte. Tout est fini entre nous. Mon billet pour Sydney m’attend dans la pochette intérieure de mon sac de voyage. Tu ne comprendras sans doute pas que je te quitte si brutalement, pourtant il le faut bien. Tu m’écœures.
Oui, je vais aller vivre dans ce pays où pullullent les arrières-arrières-arrières-petits-enfants de bagnards et de catins et je les préfère désormais à ton soi-disant esprit des Lumières, à tes droits de l’Homme qui n’existent plus que dans les manuels d’histoire. Je dois t’avouer que déjà, en 1940, j’avais eu quelques doutes sur tes valeurs : la liberté, l’égalité et la fraternité s’étant pour quelques années envolées en fumée… Mais las, m’étais-je dit, la guerre et la peur pouvaient expliquer bien des choses… Je t’avais pardonné ce moment d’égarement, criminel, certes mais compréhensible.
Depuis quelques années, tu as changé. Pour le pire. Tu es devenue grossière et paranoïaque, capricieuse et ne respectant plus ni les usages ni les bonnes manières. C’est simple, tu ressembles au petit enfant mal élevé qui te gouverne du haut de ses talonnettes. A croire que ce brimborion t’a envoûtée… Couchée avec les poules, portes et volets barricadés, tu t’enfermes dans des fantasmes de peur et, dès que tu es en tête à tête avec Pujadas, tu diabolises l’étranger. Tu as peur du noir, dis-tu… Eh bien, rallume tes Lumières dans ce cas!
Toi si fière de ta cuisine, de tes bons vins, te voici passée à l’ennemi Ronald qui prolifère et sape les papilles de tes enfants chéris, les transformant peu à peu en petits hamburgers sur pattes. L’ogre a changé de visage et désormais, c’est l’industrie agro-alimentaire qui, par un curieux retournement, dévore tes enfants…
Toi si choyée des dieux, avec tes vallons, tes collines, tes côtes ourlées d’écume, tes montagnes de géant, te voilà transformée en niche fiscale, en paradis de la productivité, en fief pour patrons arrogants avec service de sécurité musclé. Tu biométrises, il carte de séjour, nous charterisons… Elle est devenue bien étrange, ta grammaire française!
Je ne te reconnais plus. Non, tu as bien changé. Tu veux faire de tes enfants des consommateurs et quand ils résistent, tu les mets en prison. Tu ne supportes ni les critiques ni la contradiction et bientôt, tu auras corrompu tous les penseurs, les journalistes, les intellectuels ou bien tu les auras contraints à l’exil. Et tu resteras seule, devant ton vieux miroir piqué, à constater sur ton visage ravagé les effets du temps et de tous ces sentiments morbides que tu aimes éprouver…
Tu pues, ma chère France. Ton aigreur se diffuse autour de toi tel un poison. Tu es devenue vieille et laide, une petite dame qui se terre dans son appartement bourgeois, derrière sa porte blindée et son visiophone sophistiqué, en regardant passer le monde à la télé.
Alors adieu. Je pars le cœur léger… je sais que tu n’essaieras pas de me retenir… La France, tu l’aimes ou tu la quittes, non?